La tentation du Docteur Folamour…

Dans son film le « Docteur Folamour », Stanley Kubrick nous montre un grand savant américain hésitant à déclencher la bombe atomique : j’appuie ou j’appuie pas…

A l’occasion de la transposition de la directive « Services » qui doit expressément (selon Bruxelles) intervenir avant le 28 décembre 2009, le gouvernement Sarkozy-Fillon est exactement dans la même situation.

Composants essentiels de notre modèle social, les services publics ont été gravement déstabilisés par la politique de libéralisation qui a accompagné la mise en place du grand marché. A l’occasion de la transposition de cette directive en droit français, la tentation est grande de faire des services publics des exceptions aux règles de la concurrence. Ils relèveraient alors de régimes dérogatoires strictement encadrés. C’est, de fait la remise en cause de nombre d’entre eux, et les arts, la culture et le spectacle vivant sont particulièrement dans le collimateur.

Détails

  • La directive relative aux services dans le marché intérieur alias « directive Bolkeinstein » :

Votée par le Parlement européen le 15 nov. 2006, elle a été adoptée définitivement par le Conseil de l’Union le 12 déc. 2006.

Elle a suscité une forte mobilisation, notamment syndicale dans laquelle la CGT a pris toute sa place, aux côtés de la CES (manifestations à Bruxelles et à Strasbourg).

Le risque de l’application du principe du pays d’origine faisait peser sur le droit du travail cristallisait l’opposition à ce projet qui menaçait également de nombreux services publics, notamment locaux, compte tenu du champs très large du texte proposé. La mobilisation a permis l’abandon du principe du pays d’origine, l’exclusion du droit du travail et de certains services du champ d’application de la directive.

Mais la logique de libéralisation demeure :

- Le principe du pays d’accueil, c'est-à-dire l’affirmation que c’est bien le droit du pays d’accueil qui s’applique, n’a pas été substitué à celui du pays d’origine. Le pays d’accueil est au contraire tenu de garantir « le libre accès à l’activité de service ainsi que son libre exercice sur son territoire », sous réserve de quelques exceptions strictement encadrées ;

- Le champ demeure large et flou (cf. ci après).

  • Le contenu de la directive

L’objectif affiché est de faciliter le développement des activités de service en supprimant les obstacles, essentiellement d’ordre administratif, imposés à leur accès et à leur exercice.

Concrètement, il s’agit de simplifier les formalités de procédures administratives et de mettre en place des guichets uniques afin de permettre aux prestataires d’avoir un accès aisé à l’ensemble des informations dont ils ont besoin et de pouvoir accomplir en un seul lieu, y compris par voie électronique, l’ensemble des démarches qui leur sont imposées.

En fait, derrière cette simplification administrative, il y a la volonté de supprimer au maximum les systèmes d’autorisation et les exigences que les collectivités publiques, nationales et locales, imposent aux prestataires de services. Le principe est que tout système d’autorisation constitue désormais l’exception et ne peut, en tout état de cause, être maintenu que s’il n’est pas discriminatoire à l’égard du prestataire qu’il concerne, s’il est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général et proportionné à cet objectif d’intérêt général.

Pour autant, la transposition de la directive dans le droit de chacun des états membres relève de leur responsabilité et doit être achevée avant fin déc. 2009.

  • Un prétexte pour remettre en cause le périmètre et l’action de l’Etat ?

L’objet de la transposition est d’obliger les Etats à procéder à un examen minutieux de l’ensemble de leur législation, réglementation et procédures afin de les rendre compatibles avec la directive, c'est-à-dire les simplifier, les alléger, les rationaliser et surtout faire en sorte qu’elles perturbent le moins possible le libre jeu du marché.

Cet exercice doit se faire en lien étroit avec la Commission européenne. Or, celle-ci, sous couvert de coordination et d’assistance, n’a pas caché qu’elle devait faire preuve de « dirigisme » envers les Etats membres et n’a pas hésité à éditer un manuel à leur intention pour peser sur chacune des transpositions nationales.

Du côté des Etats membres, et notamment de la France, la transposition de la directive est « une occasion en or » pour réformer l’Etat, tant dans son format que dans ses missions.

A travers une opération qualifiée de technique et de trop complexe pour être mises en débat, c’est donc bien une remise en cause des services publics qui est possible. La RGPP (Révision générale des politiques publiques) s’inscrit dans cette logique visant à réduire les dépenses publiques et les services publics. Les deux processus menés de concert s’alimentent l’un l’autre.

L’exemple des guichets uniques montre qu’il est nécessaire d’être vigilant et d’intervenir sur la transposition pour éviter l’externalisation des certaines activités publiques. La mise en place de ces guichets est imposée, mais laisse une grande latitude sur la structure chargé de les gérer : ce peut être l’Etat ou un prestataire privé comme c’est prévu dans certains pays ; ou tout autre formule intermédiaire.

  • L’enjeu des services sociaux

C’est probablement le point le plus complexe et le plus sensible. Le vocabulaire européen utilise l’expression de Services sociaux d’intérêt général (SSIG). Il s’agit des activités qui concourent aux protections, à l’insertion des citoyens et des personnes vulnérables, ainsi qu’à la cohésion sociale : logement social, protection sociale obligatoire et complémentaire, aide à la personne, aide à la petite enfance, etc. La France retient une conception assez étendue des SSIG.

Or la directive Services exclut un nombre limité de SSIG de son champ d’application : les « services sociaux relatifs aux logement sociaux à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin qui sont assurés par l’Etat, par des prestataires mandatés par l’Etat ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’Etat ».

Cela témoigne d’une conception étroite des services sociaux qui a pour effet de faire entrer les SSIG non exclus dans le champ de la concurrence et d’encourager une régulation de ces services par le marché. L’enjeu consiste donc à promouvoir des formes de régulation alternative permettant de sécuriser des services essentiels pour la cohésion sociale.

Chaque pays européen doit pouvoir préserver les traditions et les modes d’organisation des services publics qui lui sont propres, conformément au principe de subsidiarité. La France se caractérise par la diversité des acteurs qui interviennent dans le champ des services sociaux : l’Etat et les collectivités locales, le tiers secteur formé des associations et des organismes sans but lucratif, le secteur privé lucratif.

La part réalisée par le tiers secteur est importante mais son financement est menacé parce que les subventions qu’il reçoit de l’Etat ou des collectivités territoriales peuvent être caractérisées comme des « aides d’Etat » par le droit européen.

En l’état actuel de la règlementation, le seul moyen pour les autorités publiques compétentes de protéger ces services publics est leur qualification en service d’intérêt général. Cela doit faire l’objet d’une délibération explicite qui doit également « mandater » officiellement les opérateurs de leur mise en œuvre.

  • Les arts et la culture, le spectacle vivant

Malgré les mobilisations, au niveau national comme au niveau européen, la culture n’a pas été exclue du champ d’application de la directive Services.

Sa transposition est l’objet aujourd’hui de tractations entre le Ministère de la culture, le Ministère de l’artisanat et des PME, les services du Premier ministre et de l’Elysée.

C’est ainsi que le gouvernement a décidé de faire disparaître la licence d’agent artistique et de sa commission d’attribution.

C’est ainsi que l’article L.7121-9 : « le placement des artistes du spectacle peut être réalisé à titre onéreux sous réserve d’être titulaire d’une licence annuelle d’agent artistique » est remplacé par « l’agent artistique d’entend du représentant d’un artiste chargé, à titre onéreux, de la défense de ses activités et de ses intérêts professionnels en sa qualité d’artiste. Il est créé un registre des agents artistiques destiné à l’information des artistes et du public ainsi qu’à faciliter la coopération entre Etats membres de la Communauté européenne et autres Etats parties à l’espace économique européen. L’inscription sur ce registre est de droit… »

Ainsi la transposition de la directive Services a déjà eu comme victime la licence de l’agent artistique.

Selon nos informations les licences d’entrepreneurs de spectacle sont également dans le collimateur mais rien n’est définitivement réglé concernant : la présomption de salariat des artistes, des journalistes, des mannequins et des VRP, ainsi que les conditions de constitution et de fonctionnement des sociétés civiles pour la répartition des droits de propriété intellectuelle (SPRD).

Peut on faire confiance aux arbitrages de l’Elysée et de Matignon sur ces questions ?

Nous ne sommes pas surpris de voir des apprentis sorciers vouloir détruire toute idée de service public du spectacle, des arts et de la culture, le Ministère de la culture étant lui-même menacé. Face à cette logique de privatisation généralisée aboutissant à la mise en place du Conseil de la création artistique, nous devons informer et mobiliser contre ce qui serait la destruction massive des conditions mêmes de l’exercice de nos professions et de l’ensemble de notre protection sociale. Le syndrome du virus MK2N1, l’ultra libéralisme du grand marché intérieur européen doivent être rapidement mis en échec pour l’avenir même de toute idée de création, de diffusion artistique, de démocratie culturelle.

(Extrait SNAM Info)